Femmes de dictateur 2 by Ducret Diane

Auteur:Ducret, Diane [DUCRET, Diane]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Biographie
Éditeur: Plon
Publié: 2012-02-22T23:00:00+00:00

Blême HLM

Septembre 1965. Mira et Slobodan donnent une dernière touche à leur nouveau logis avant l’arrivée des invités. Les jeunes mariés habitent à présent un appartement au dernier étage sans ascenseur dans les nouvelles barres d’immeubles de Karaburma, à l’extrême périphérie de Belgrade. Leur petit 40 m² flanqué d’une terrasse de béton brut se trouve à vingt minutes à pied du premier arrêt de bus, ce qui n’est pas sans contrarier Mira. Slobodan a trouvé un travail au sein du parti communiste qui le retient hors de la maison toute la journée. « Je souffrais un peu de la solitude, car je montais les marches difficilement avec mon gros ventre [...]. Un matin, j’ai glissé dans la baignoire et suis restée immobile sur le lit en attendant le retour de Sloba. » Une fois encore il était là pour la rassurer et le 22 septembre naît une petite fille prénommée Marija. Ce petit être capte bientôt toute l’attention de Slobodan. « Entre elle et son père ce fut un amour immédiat, total, absolu, qui en certains moments me faisait sentir presque exclue », se souvient la jeune mère dédaignée. A peine rentré, Sloba n’a qu’une seule idée en tête, donner le bain à sa fille. Durant les longues heures qu’elles passent toutes les deux en solitaires, Mira tente de nouer un lien privilégié avec la nouvelle venue de la famille en lui lisant à voix haute les grands textes qu’elle continue de découvrir à l’université.

Les débuts de la vie maritale ne sont pourtant pas aisés. Le couple est désargenté et c’est Stanislava qui vient souvent de Pozarevac donner quelques subsides pour remplir les placards. « Mon père Moma était bien sûr plus puissant et moins pauvre, mais il ne donnait jamais rien », commente Mira. Sloba ne compte cependant pas faire de sa femme une ménagère insatisfaite et s’arrange avec un autre fonctionnaire du Parti pour échanger leurs appartements. Les Milosevic déménagent pour le quartier naissant de la Nouvelle Belgrade où une invention moderne les attend – le téléphone.

Ils aiment y recevoir les jeunes intellectuels qui gravitent autour du têtu maréchal Tito, qui a dit « non » au protectorat de Staline, au nom de l’indépendance des Slaves du Sud. L’intérieur est soigné, décoré avec tout le goût que leurs revenus d’étudiants leur permettent. Mira a de plus la manie de souvent changer les meubles de place. Son empreinte sur le nid familial s’impose : « Mes couleurs et mes idées sont présentes partout dans la maison209 », s’enorgueillit la maîtresse des lieux.

Sloba passe l’aspirateur210, faisant attention de ne pas déranger « Bébé211 », qui se coiffe devant son miroir, rituel sacré qui peut s’éterniser. Il sait qu’elle devient particulièrement irritée lorsqu’il interrompt le périlleux exercice, qui la plonge, selon elle, « dans les abysses de sa propre existence212 ». Mira accorde en effet la plus grande attention à sa chevelure noire et épaisse, qui rehausse un visage aux traits fermés et aux yeux toujours mi-clos laissant deviner par leur opacité une mélancolie perpétuelle.

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